peur et peuvent s’enfuir. Éloigne-les du ruisseau.
Un cours d’eau borde notre champ, malheureusement à sec la plus part du
temps. Deux petits rus qui viennent de lointaines collines l’alimentent,
quand il pleut plus haut dans les collines, nous récupérons dans notre
ruisseau cette précieuse eau, vite bue par notre terre aride.
Avec la fraîcheur et l’espoir de la pluie, le travail était devenu moins
pénible. Papa parlait sans arrêt, il évaluait nos prochaines récoltes,
discutait avec maman de ce qu’il faudrait garder pour provision et ce que
nous pourrions vendre. Il calculait combien cela ferait d’argent disponible
et il répartissait tout cet argent. Notre mère l’écoutait, et elle était
heureuse.
De grosses gouttes commençaient à tomber, les premiers nuages étaient
sur nos têtes, mais ceux qui arrivaient étaient bien plus menaçants. Ce
serait une bonne pluie, celle qui mouille la terre profondément jusqu’aux
racines des plantes et des arbres, celle qui remplit les puits et les
fontaines.
Papa avait enlevé sa chemise et il offrait à la pluie battante son torse en
sueur, ce torse torturé par la fatigue, les efforts et les privations. La tête
levée vers le ciel, les bras écartés, il criait :
_ Gloire à toi au mon dieu, béni ma famille, béni notre travail, béni nos
récoltes.
Comme mon père, j’avais retiré ma chemise et je profitais de cette eau
fraîche venue de l’empyrée. Antonio et Isabel faisaient une ronde en tapant
des pieds fortement dans les flaques déjà formées. Maman les cheveux
collés sur son visage ruisselant, stoïque sous la pluie, nous regardait
calme et détendue.
L’orage tournait en ce moment au déluge, les gouttes énormes tombaient au
sol avec une telle force, qu’elles rebondissaient faisant un bruit de
mitraille assourdissant. L’obscurité avait remplacé la lumière éclatante de
l’après-midi. À cet instant le ciel se zébra au loin sur les collines, des
éclairs précédèrent une série de coups de tonnerre impressionnants, leurs
effrayants roulements arrivaient jusqu’à nous. Antonio et Isabel se mirent
à crier et à pleurer, maman se précipita pour les prendre et les serrer