cette bonhomie, se cachait la misère et aussi souvent le désespoir. Mais
papa et maman chantaient en s‘activant, de temps en temps, papa faisait
semblant de crier après nous les garçons. Jamais après Isabel, car trop
petite, elle craignait papa quand il faisait la grosse voix, même pour la
taquiner elle se mettait à pleurer.
— Alors les fainéants, faut-il que je prenne un bâton pour vous faire
dépêcher?
Il riait très fort, et se remettait au travail. De temps à autre, nous levions
la tête pour scruter le ciel. L’attente de la pluie nous rendait nerveux.
-Regardez dit mon père du côté du nord-ouest ces nuages gris qui
s’amoncellent. Nous aurons juste le temps de déjeuner et le grain sera sur
nous, la terre avant ce soir sera moins dure à piocher, nos puits vont se
remplir et chacun pourra arroser son jardin. Dans quelques jours nous
aurons de belles pastèques bien juteuses, fini la misère pour vous mes
enfants, nous mangerons à notre faim.
Maman avait posé notre panier sous le grand amandier au bout du champ.
Nous étions assis sous son ombre. Isabel avait rassemblé ses chèvres et
nous avait rejoints. Pendant ce temps, notre mère avait étalé un torchon et
disposait le repas, d’épaisses galettes sur lesquelles elle versait un filet
d’huile d’olive, pour chacun un gros oignon cru et pour dessert quelques
figues sèches. Nous nous désaltérions avec l’eau qui avait rafraîchi dans
une cruche de terre cuite accrochée à une haute branche. Seul papa buvait
un peu de vin dans une gourde en peau de chèvre. Ces repas dans les champs
étaient joyeux et nous étions heureux.
— C’est pas le tout ! maintenant il est temps de retourner travailler. Allez
debout !
Nous pensions que c’était l’ombre du grand arbre qui nous avait prodigué
cette fraîcheur, et bien non ! C’était le vent qui avait soudainement forci
et le soleil qui était partiellement caché. En effet, les gros nuages gris
avaient fait rapidement du chemin pendant que nous déjeunions. Bien plus
vite que papa ne l’avait prévu. Maintenant l’horizon était bouché, on
pouvait voir une épaisse nuée noire courir vers nous. La pluie tant attendue
serait bientôt sur nos têtes.
— Isabel, attache tes chèvres, car s’il y a de l’orage tu sais qu’elles ont